Homélie du 28 septembre 2025 à l’occasion de la journée mondiale du migrant et du réfugié de l’Eglise Catholique Romaine

L’AGORA souhaite ouvrir les portails, créer des passerelles.

Merci beaucoup Thierry pour ton accueil ce matin et toute cette semaine.

Dans le texte d’aujourd’hui, il est question d’un homme riche et d’un homme pauvre. L’homme riche est décrit comme vêtu de pourpre et de lin fin, et qui fait chaque jour des festins somptueux. On sait peu de choses sur lui, juste qu’il vit dans sa bulle, sans réelle personnalité finalement. Il est centré sur lui, sans vraiment de lien avec Dieu et les autres. D’ailleurs, il n’a pas de nom. Il reste « le riche ».

Face à lui, nous avons un homme pauvre. Il n’a rien, il est malade. Mais lui, il a un prénom. Lazare. il est connu, non comme « le pauvre » mais comme Lazare. Il a une identité. 

Le prénom Lazare signifie « Dieu aide » ou « Dieu est venu en aide ». Alors, on pourrait se dire que Dieu ne l’aide pas du tout vues ses conditions de vie : la faim, les ulcères, le mépris… Mais peut être que si. Peut-être que Lazare garde l’espoir, se sent aimé parce qu’il a tissé une relation particulière avec Dieu.

Au cours de mon travail d’aumônière à l’AGORA, j’ai souvent rencontré des Lazare, des hommes et des femmes qui malgré toutes les horreurs qu’ils ont vécu sur la route de la migration, gardent foi en Dieu. continuent à croire en Dieu et à lui faire confiance… Souvent quand ils sont dans l’attente d’une décision du Secrétariat d’Etat au Migration, ils ou elles disent : Dieu m’a déjà conduit jusqu’ici. Il ne peut pas m’abandonner. IL sera toujours là avec moi.

Comme Lazare finalement.

Et puis entre eux, il y a ce portail. Et ensuite après leur mort, il y a un abîme. La ligne de démarcation entre le riche et Lazare. Entre deux réalités distinctes, entre eux et nous.

Alors, le riche demande à ce que Lazare serve de passerelle entre Dieu et ses frères. Mais c’est trop tard. C’est maintenant, jour après jour, que nous sommes appelés à ouvrir ce portail ou à créer une passerelle. 

L’AGORA a été créé dès le départ dans cet objectif et notre charte le précise : Nous aimerions être, en excluant tout prosélytisme, signes de l’accueil de Dieu, afin que les personnes que nous rencontrons gardent ou trouvent une lueur d’espoir, même si elles doivent aussi perdre beaucoup d’illusions. 

A l’Agora, nous ne faisons rien de particulièrement extraordinaire ou visible.  Dès la création de notre aumônerie, il s’est agit de gestes simples : offrir un café, un thé, une écoute, un soutien lorsque les personnes attendaient l’ouverture de la porte du centre fédérale d’enregistrement il y a 35 ans.  Et puis notre offre s’est étayée mais toujours avec le souci de mettre en contact, d’ouvrir sur la société, sur les autres. De créer des passerelles. L’intégration, le vivre ensemble passent par là.

Quelles sont ces passerelles ? 

Il y en a de multiples.

Vous, la communauté de la paroisse saint Joseph, avez déjà agit comme une passerelle. Peut-être même sans le savoir. Vous avez ainsi accueilli Shamal et Messie venus tous deux d’Iran, lors de leur parcours de foi et c’est avec vous qu’ils ont été baptisés lors de la dernière nuit pascale. Vous avez accueilli Jeremie venu de Côte d’Ivoire qui a trouvé une deuxième famille au milieu des servants de messe.

C’est aussi Françoise qui assure régulièrement les lectures et Marlène de l’éveil à la foi qui se sont proposées pour assurer des temps de permanence à l’accueil de l’AGORA. C’est Arina qui a été stagiaire pendant presque 6 mois et qui continue à nous prêter main forte.

C’est aussi Jérôme qui donne des cours de français bénévolement à la Croix Rouge, Marianne qui laisse son chalet un we à un jeune guinéen pour qu’il change d’air, Odile et Alix qui accueillent sur leur lieu de travail un jeune burundais à la recherche d’un stage dans le domaine de la santé.

Mais il n’y a pas de règles.

Le portail que l’on ouvre, la passerelle que l’on pose au-dessus du ravin créé des liens souvent bien différents de ce qu’on pouvait imaginer. Ou débouche sur des situations tout autres.

Je pense que vous avez tous pris conscience de la présence de Mustapha, ce monsieur soudanais qui s’est installé sous le kiosque en face de l’église. Sous l’impulsion de Thierry, je suis allé le voir pour discuter et comprendre ce qu’il était possible de faire. Son histoire est compliquée, décousue. Il la raconte par bribe. Un permis de séjour en France, san doute un travail et puis, quelque chose se passe, il se fait voler ses papiers, quitte la France, se rend en Italie puis arrive à Genève. Comme vous, j’étais gênée de le voir assis toute la journée, et dérouler son tapis de sol et son sac de couchage à la nuit tombante.

Dans un premier temps, il m’a expliqué ne pas vouloir aller dans les lieux d’accueil. Il n’aime pas, n’a pas confiance. Il préfère dormir comme ça. Son souhait ? Retourner au Soudan. Je lui rappelle que la situation est plutôt compliquée là-bas. Mais il se débrouillera me dit-il. L’important est d’y aller. Je lui parle du service de la Croix Rouge qui aide au rapatriement de personnes qui, comme lui, souhaite retourner au pays. Il me répond y être déjà allé mais qu’on a refusé de l’aider. Et il m’encourage à y aller toute seule. J’y vais et découvre qu’effectivement le service le connait bien. Il a un dossier ouvert à son nom. Il a même été suivi par un Assistant Social. Le problème est qu’il doit avoir un document de voyage, un bilan de santé prouvant qu’il est en capacité de voyager, un projet et constituer un dossier.  Il sait ce qu’il doit faire, on lui a tout expliqué me dit la responsable.  mais il ne veut pas coopérer. Alors, je fixe un rendez-vous et retourne voir Mustapha. Je lui propose qu’on y aille ensemble. Il refuse. Il ne veut pas s’associer aux démarches. Son projet ? S’installer sous un arbre. Ses papiers ? Il me répète qu’il souhaite uniquement son billet ‘avion et qu’ensuite, il se débrouille. Vous allez-y et faites à ma place me dit-il.

J’ai jeté l’éponge. 

Je me contente d’échanger quelques mots avec lui par ci, par là.

Cependant quand je passe devant lui, je vois d’autres gens discuter avec lui, je le vois manger des sandwichs ou des repas dans des tupperwares, je vois le nombre de sacs grandir. Autour de lui, je vois des passerelles. Peut-être pas celles que je ou que nous souhaiterions pour lui, peut-être pas celles qu’il souhaiterait ou peut être que si, finalement. Je ne sais pas. Mais ce sont des passerelles qui pour l’instant, existent. 

Si on revient à la parabole, on note que le riche avait eu chaque jour, pendant sa vie, la possibilité de devenir un autre, d’écouter Moïse et les prophètes et de rencontrer Lazare. Il n’a pas voulu la saisir, et maintenant c’est trop tard. 

L’important est d’ouvrir ces portails, de créer ces passerelles quelles qu’elles soient. En créant ces passerelles, il ne faut pas forcément s’attendre à un résultat, à un changement de vie visible et extraordinaire. 

Ce résultat, ce changement, ne nous appartient pas. Et finalement, ce n’est pas le plus important.

La parabole précise que Lazare est une chance. Il se prénomme « Dieu aide ». Dieu aide peut signifier Dieu aide Lazare mais aussi Dieu aide celui qui s’attachera à Lazare.  Le riche ne l’a pas compris. Il n’a pas compris quand rencontrant Lazare, quand s’intéressant à lui, c’était à Dieu qu’il s’intéressait. 

Alors, prenons notre part, intéressons-nous à Dieu, intéressons-nous à l’autre, construisons des passerelles entre Dieu et nous, entre l’autre et nous. C’est le plus important.  

La suite, c’est une autre histoire.

Ce contenu a été publié dans Uncategorized. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *