Homélie du 3 mars 2025

Vivement mercredi, le carême commence !

Cette période de bonne résolution pour vivre autrement… Mais comment ?  Il est intéressant de se demander si le texte de ce jour ne nous éclaire pas aussi sur une autre manière de faire carême.

Joseph, le père de Jésus, était charpentier. On nous raconte que Jésus l’aidait dans son atelier et qu’il était sans doute, lui-même, un travailleur du bois. Ce n’est donc pas un hasard si l’élément principal qui frappe dans ce texte aujourd’hui est une poutre : Une poutre que nous aurions tous dans l’œil.

Une poutre est bien sûr cet élément central dans la construction d’une maison : Sans poutre, pas d’étage, pas de toit. Sans poutre, pas de maison, pas de chez soi, pas de sécurité. La poutre dans notre œil est celle de nos certitudes, de notre maison intérieure. Elle nous sert de référence dans notre vie, dans nos rencontres. Plus elle est petite, plus la maison est sombre, triste, sclérosée. Plus elle est grande, plus la maison s’éclaircit, s’illumine, se bonifie. 

En ce temps de carême, nous sommes appelés à faire bouger cette poutre, à pousser les murs de notre maison intérieure, à laisser entrer la lumière, à voir plus grand. 

Comment ?

Ce texte nous offre trois pistes, différentes et complémentaires.

En premier, Jésus nous dit qu’un « aveugle ne peut pas guider un autre aveugle, au risque de tomber dans le même trou ». En revanche, un estropié peut guider un aveugle qui lui-même l’aide à marcher. 

Et si la première manière de pousser les murs de notre maison intérieure, ce serait d’aller à la rencontre de celui qui est différent de moi, qui ne vit pas comme moi, qui ne pense peut-être pas comme moi. Le partage des différences est une richesse et nous aide à ouvrir nos yeux sur d’autres manières de penser, de voir les choses.

Je suis aumônière à l’AGORA (Aumônerie genevoise Œcuménique auprüs des Requérants d’Asile). Dans ce cadre, je discutais un jour avec un jeune comorien de confession musulmane très pratiquant. Nous parlons de la prière. Il me demande : « alors, vous, comment priez-vous ? Est-ce que vous pouvez me montrer ? Là, maintenant ». J’hésite et me lance… A la fin de ma prière, il me regarde avec un grand sourire. Et il s’exclame : « En fait, nous prions de la même manière ! » 

Et lui de me décrypter les différentes étapes communes de notre prière. 

Nos amis musulmans débutent ce soir le ramadan. Nous avons la chance cette année de vivre carême et ramadan plus ou moins à la même période. Plusieurs d’entre eux proposent de participer à l’iftar, la fête de rupture de jeûne, au cours d’un grand repas. Pourquoi ne pas accepter l’invitation et en profiter pour mieux nous connaître ? Nous sommes tous hommes et femmes de foi, une foi qui se vit juste différemment.

En deuxième, Jésus nous dit « qu’une fois bien formé, chacun sera comme son maître ».

A de très nombreuses reprises, Jésus se met à enseigner les disciples, Marie, la foule.

Et si la deuxième manière de pousser les murs de ma maison intérieure, ce serait de se former personnellement ? En ce temps de carême, de nombreuses occasions de suivre des conférences, des enseignements nous sont proposées. L’objectif n’est pas de devenir supérieur mais de mieux se connaître soi-même, de bousculer ses certitudes. Cet enseignement passe aussi par l’écoute de la sagesse de celles et ceux qui nous entourent.

Un ami camerounais qui avait fait le long chemin de la migration jusqu’ici, qui avait traversé la méditerranée en bateau, qui avait été hebergé dans les camps surpeuplés des îles de Patmos me disait : J’y ai rencontré un prêtre belge, des religieuses. On parlait de la Bible, on récitait le chapelet.  J’y suis resté 2 ans. Ce n’était pas mon choix de rester si longtemps. Je me suis toujours dit qu’il fallait se battre avec sa tête. Il faut chercher, il faut demander, il faut prier. La prière tient une grande place dans ma vie. Dans les difficultés, lorsque j’ai été trompé ou battu, le Seigneur m’a aidé. J’ai pardonné ce que je pouvais et le reste, je le lui ai laissé. 

Pour moi, ce fut une belle leçon…

En troisième, Jésus nous dit que l’homme bon tire le bien du trésor de son cœur qui est bon. Et si la troisième manière de pousser les murs autour de moi était de dire du bien de l’autre, de parler du positif qui existe autour de nous, du bien qui nous arrive. 

Récemment, je rendais visite à un ami géorgien. Il est arrivé à Genève il y a quelques années avec son fils de 9 ans pour soigner un cancer. Il me montre une lettre de son médecin expliquant que s’il rentre en Géorgie, son espérance de vie serait de 6 mois, s’il reste en Suisse, son espérance de vie pourrait aller jusqu’à 18 mois. Il me dit ne pleure pas. Pour moi, tout est bien. Depuis que je suis ici, je vis en paix, mon fils va à l’école, je fais ma part, le médecin aussi et Dieu également. Et je rends grâce pour chaque journée supplémentaire que la Suisse et Dieu me donnent. Je sais d’où je viens, la Géorgie, et je remercie pour ce que je vis.

Alors, en ce temps de carême, pourquoi ne pas pousser les murs de notre maison intérieure pour y laisser entrer plus de lumière, plus de découverte, plus d’amitiés. Pour pousser les murs de notre maison intérieure, nous sommes ainsi invités à rencontrer l’Autre, à entendre la parole de l’Autre, à dire du bien de l’Autre et de ce qui nous entoure.

Et alors nous pourrons reprendre les mots du psaume :

Le juste grandira comme un palmier,
il poussera comme un cèdre du Liban ;
planté dans les parvis du Seigneur,
il grandira dans la maison de notre Dieu.

Bon carême.

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