Au cinéma, « prisonniers du destin »

« Le destin est écrit sur le front de chacun et personne ne peut y échapper. J’y crois aussi » déclare l’un des protagonistes de ce documentaire particulier. Pourtant, ils vont nous prouver le contraire pendant toute la durée du film. 

De nombreux documentaires récents, dont  Dynamic wisdom d’Elise Shubs ou l’excellent L’audition de Lisa Gerig, s’attachent à nous faire connaître la réalité de la vie des requérants d’asile en Suisse et la complexité du système. 

Cette fois-ci, le parti pris de départ du réalisateur Mehdi Sahebi, suisse originaire d’Iran, est plus déroutant. Il filme plusieurs personnalités « à l’état brut », sans explication sur leur parcours, ou l’avancement de leur procédure. Le spectateur doit comprendre par lui-même ce qui se passe, quelles sont leurs relations, leurs difficultés particulières, les raisons qui peuvent éclairer leur choix. Ainsi un jeune décide finalement de se rendre en Italie pour travailler car la Suisse ne délivre des autorisations de travail qu’au bout de plusieurs années. Pour lui, le plus important est d’envoyer de l’argent à sa mère malade. Il reviendra quelque temps plus tard, débouté. En parlant de la Suisse, il déclarera un brin fanfaron : « ce n’est pas l’Europe ici, l’Italie m’a rajeuni ». De même, la famille afghane qui souhaite faire venir son fils de 6 ans d’Iran ne comprend pas pourquoi le regroupement familial n’est possible qu’après l’obtention d’un permis et un séjour de 3 ans. Alors, ils souhaitent faire bouger les lignes, ne pas subir. En écrivant à la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, ils vont obtenir une autorisation exceptionnelle. Sous nos yeux, les protagonistes changent, évoluent, se désespèrent ou prennent espoir. Une femme afghane dont le mari est retourné en Afghanistan se résigne à l’y rejoindre malgré sa peur et son désir de rester en Suisse. « Une femme afghane reste avec son mari quoiqu’il arrive » explique-t-elle. Il n’y a aucun commentaire ni jugement sur leur choix. « Ce ne sont pas des héros, mais des personnes en quête, avec une ambivalence et des contradictions dans leurs pensées et leurs actions. En fin de compte, comme tout le monde, ils aspirent à̀ une vie meilleure et digne » explique Mehdi Sahebi. 

Peut-être ferions-nous la même chose dans leur situation ?

Comme pour alléger le propos, Mehdi Sahebi s’attache aussi à souligner les moments de fête, de « détente », comme des bulles de respiration : une sortie en forêt avec un groupe scout, un anniversaire, une danse, un rendez-vous chez le coiffeur. Quant à la petite fille de la famille, elle est le plus parfait marqueur du temps qui passe : au fil du documentaire, nous la voyons évoluer, parler le Schweizer Deutsch, rentrer seul de l’école avec un camarade, questionner le port du voile…

Un éclairage sur les afghans d’Iran

Le principal intérêt de ce documentaire est de rappeler la situation des 3 millions d’afghans qui vivent actuellement en Iran. Certains y vivent depuis 40 ans, d’autres y sont nés. Un million d’entre eux sont reconnus comme réfugié-e-s et détiennent une carte d’identité́ appelée « Amayesh », entre 500 000 et 620 000 ont un passeport afghan et un visa temporaire, environ 1,5 million sont sans-papiers (source : OSAR, septembre 2018). Ayant vécu en Iran jusqu’à sa fuite en Suisse à l’âge de 20 ans, le réalisateur a été saisi d’empathie pour ces destins qui lui sont proches. En Iran, ces afghans pensent qu’ils n’ont pas d’avenir et que l’Europe leur sera plus favorable. D’ailleurs, le déserteur iranien se désole d’avoir écouté les mauvaises personnes : « je me suis fait passer pour afghan en pensant que j’aurais plus de chance : J’ai été mal conseillé » déplore-t-il. Débouté, il tentera de nouveau de traverser la frontière turco-iranienne et de revenir. Comme pour forcer le destin… et faire mentir le titre un brin fataliste du documentaire !

L’histoire : Pendant un peu plus de 4 ans, a suivi particulièrement plusieurs requérants d’asile afghans venus d’Iran et installés près de Zurich. Les situations sont à la fois distinctes et similaires : des parents ont perdu leur fils de 6 ans en traversant la frontière et rêvent de le faire venir auprès d’eux, un jeune s’’inquiète pour sa famille, un déserteur espère obtenir l’asile… Devant sa caméra, ils se racontent entre espoir et découragement. 

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