Récit de David*, requérant d’asile burundais
Qui es-tu ?
Je suis ingénieur en informatique avec une application dans le domaine agricole.
Je suis né et j’ai grandi au Burundi jusqu’à l’âge de 19 ans. Mes parents sont tous deux burundais. Ma vie a basculé le jour de l’assassinat de mon père. Notre famille a été séparé, certains sont partis au Rwanda, un petit frère a disparu; je me suis réfugié en Ouganda car c’était dangereux pour moi. J’y ai commencé une autre vie, sans mes parents qui me soutenaient affectivement et financièrement.
En Ouganda, j’ai travaillé pour l’association « Light for all » comme chauffeur et journaliste; cette association aide les réfugiés qui sont dans le camp « Nakivale refugee settlement ». Nous étions burundais, rwandais, congolais, éthiopiens, érythréens, soudanais. Ils m’ont proposé de faire des études. J’ai été hébergé à Kampala, la capitale, dans une église protestante. Le pasteur m’a aidé, m’a apporté un soutien et avec lui j’ai aussi aidé les autres réfugiés. La période la plus marquante est ce jour où je suis arrivé en Ouganda. Il fallait repartir à zéro, apprendre l’anglais, les langues du pays, la nouvelle culture.
Durant le covid, la vie a été aussi compliquée car en Afrique, on vit au jour le jour et le gouvernement n’a apporté aucune aide durant cette période. Un ami érythréen m’a montré comment faire du pain : on parcourait ensuite la ville à vélo pour le vendre. Jusqu’à fin 2020, je gagnais ainsi entre 5 et 10 CHF/jour. Le confinement de 2021 s’est mieux passé. Je finissais mes études universitaires; avec des amis, nous avons créé une start up qui renseignait les gens sur les aliments qu’ils pouvaient trouver sur les marchés. Elle s’appelait « agrinov training club ». Nous nous chargions ensuite de les acheter et de les leur livrer. Jusqu’en 2022, nous avons ainsi aidé le gouvernement à l’aide d’un drone infrarouge à rassembler des datas sur les besoins alimentaires des gens et sur leur santé. J’ai aussi développé un website avec un e-commerce dans le domaine agricole. En parallèle, je continuais à travailler pour Light of all : je rassemblais des données dans les camps sur les exactions et les femmes violées au Burundi, les aidais à trouver un soutien juridique et je faisais remonter les informations.
En 2022, on a entendu que le Burundi devenait un pays de paix avec le changement de président (le général Ndayishimiye a succédé au président M. Nkurunziza en 2020). Il y avait une lueur d’espoir que les choses changent. Je suis donc retourné au pays pour voir si ces informations étaient vraies. J’avais peur mais je voulais vraiment rentrer pour seulement vivre en paix, fonder une famille, être heureux. Mais je me suis rendu compte que le pays restait terrible. Les gens avaient faim, il y régnait de l’insécurité, des groupes armés contrôlaient chaque entrée de quartier. De plus toute personne vivant dans un quartier doit tenir un cahier dans lequel elle recense les personnes qui vivent sous son toit ou qui viennent lui rendre visite, précisant si elles viennent de la campagne ou de l’étranger. Pour moi, c’est le signe que quelque chose se prépare car ce n’est pas normal de recenser ainsi tous les noms des amis et des proches des burundais. J’ai rejoint ma mère qui vivait à Bujumbura. Elle a dû prévenir les autorités que j’étais revenu et elle l’a noté dans son cahier. Les autorités ont fait des recherches et ils ont découvert qu’en 2015, j’ai participé à des manifestations organisées par les universités du Burundi, dont l’université Lumière de Bujumbura, contre un 3ème mandat de Pierre Nkurunziza.
J’ai présenté une demande de carte d’identité mais les autorités me l’ont refusée. A la place, elles ont émis un mandat d’arrêt contre moi. Je suis parti me réfugier à la campagne le temps de trouver une solution et de rassembler de l’argent. Retourner en Ouganda était dangereux car il y a des enlèvements de burundais dans les pays limitrophes comme le Kenya, le Rwanda, l’Ouganda. Il y a aussi des meurtres sans que le pays d’accueil ne mène une enquête ou les enregistre dans son système. La campagne est triste car les gens continuent de s’y appauvrir. Ma mère a fait jouer ses contacts pour que j’obtienne un passeport pour moi et mon petit frère. Ma sœur qui travaille à Lyon et mon oncle qui vit en Belgique nous ont aidés financièrement à payer un billet. Je n’ai su qu’au dernier moment que le billet était pour la Serbie. Finalement, je suis parti avec mes deux frères. Ma mère m’a conseillé de me rendre en France ou en Suisse car on a des amis à Sion.
Mes frères ont étudié au Rwanda : le gouvernement ne nous fait pas confiance car nous avons étudié à l’étranger et nous empêchent de trouver du travail. Pourtant, le gouvernement ne se préoccupe pas d’assurer un avenir à la jeunesse burundaise.
En Serbie, il était difficile de comprendre la langue car les serbes ne parlent pas l’anglais ou le français. Nous sommes descendus à l’hôtel que nous avions réservé, puis nous avons décidé de partir dès le lendemain pour ne pas gâcher de l’argent car on ne savait pas ce qui se passerait sur le chemin. On a décidé de tenter de traverser la Serbie vers la Bosnie et d’autres burundais nous ont expliqué comment traiter avec les passeurs : il faut peu parler, porter quelques affaires dans un sac. On a laissé le reste à des burundais qui choisissaient de rester; les passeurs étaient afghans, turcs et somaliens.
Pour traverser de Serbie vers la Bosnie, on nous demande 200 $/personne. Alors, nous prenons le risque de payer et on part. Le soir-même, on arrive à la frontière, on monte sur un petit bateau. De l’autre côté, ils nous indiquent sur une carte un chemin à prendre pour atteindre une gare où nous retrouverons un autre passeur. Nous y restons de 1h à 10h. A 10h, un bus nous prend et nous emmène dans une ville de Bosnie. La frontière est à 215 km de la ville. Nous allons alors au camp de Lipa. Il y avait beaucoup de monde (chinois, afghans, etc.). c’était très difficile car beaucoup de gens prétendaient pouvoir aider à passer. Dans le camp, on prend votre nom. On y est resté 3 jours avant d’essayer de passer la frontière avec la Croatie. Les choses commencent à être difficiles. Chaque taxi te demande 100 $ par groupe de personnes pour aller en Croatie. J’étais avec mes deux frères et deux filles rencontrées à Lipa. On a pris un taxi vers minuit avec l’idée de passer vers 3h du matin pour éviter les gardes au bord de la frontière avec les tirs et les chiens. Ca faisait très peur. Les passeurs répétaient qu’il n’y avait pas de problèmes, pas de guerre, pas de ronde… Ce n’était pas vrai car dans la forêt on retrouve d’autres groupes de gens. Les drones contrôlent et nous repèrent dans la forêt.
Je me suis fait arrêté 3 fois et renvoyé en Bosnie. Je n’ai plus retrouvé mes frères car la carte SIM de mon téléphone a été cassée. La nuit, on te tape, les gens crient, les enfants pleurent… Au matin, je découvre que je suis sans mes frères dans la fourgonnette et je suis dans un poste de police. Comme on est dans la nuit, on est considéré comme des malfaiteurs et non comme des réfugiés alors que si on était arrivé le matin, on aurait été accepté dans un camp croate. Donc, ils nous renvoient en Bosnie à une centaine de km de la frontière. Je ne sais pas où aller. Je marche, je marche et je trouve une ferme abandonnée, une « game house ». Il y a d’autres burundais qui attendent de partir. La Croix Rouge nous y apportait de la nourriture à 12h. Je priais pour que mes frères soient en vie car on avait entendu des tirs. Je retente le lendemain. On tape, c’est la violence. Je suis resté pendant 1 semaines dans la « game house » pour me laisser du temps. J’ai retenté. Mais il y avait des hélicoptères. Les passeurs avaient trompé beaucoup de gens. Certains ont été abandonnées dans la forêt, des femmes violées avec des policiers et des chiens. J’étais en plein désespoir.
Les passeurs donnaient des rendez-vous mais souvent, on se retrouvait à 400 à tenter de passer en même temps. J’ai vu des femmes battues par les policiers, conduites dans les fourgonnettes, dormir par terre avec les enfants dans les cellules, sans manger car nous étions trop nombreux, au soleil à attendre mais on nous renvoyait au-milieu de la nuit. On était lâché dans la forêt après 1h ou 2h de trajet dans une fourgonnette… Certains sont réussi à passer « par hasard ». Mon frère Nico a suivi un groupe ; ils ont marché 6 jours et se sont retrouvés à Zagreb sans le savoir, sans police, sans NEM Dublin.
En Slovénie, les soldats sont mieux armés mais moins arrogants. Pas de chiens mais un contact humain avec des questions en français ou en anglais.
J’ai réussi à passer la 6ème fois. Je suis avec une famille de cinq personnes, une femme avec son fils et deux autres couples. La femme dit que nous devons partir au petit matin et passer les premiers. Si on nous arrête comme on a des enfants, on a peut-être plus de chance. On part à 3h du matin et on passe vers 7h en Croatie. La police nous demande ce qu’on fait là. Je réponds « on part en ville ». Combien êtes-vous ? Nous sommes 10. Quand êtes-vous arrivés ? On vient d’arriver. Asseyez-vous par terre et attendez. Il est 8h du matin. On attend jusqu’à 10h. On aperçoit le groupe qu’on avait laissé endormi. Donc comme on était les premiers, ils ont renvoyé le grand groupe et nous ont emmené dans les fourgonnettes. On commençait à avoir l’habitude… Ils ne nous emmènent pas dans un camp. Après 2h, on nous met dans un cachot. C’est comme en Afrique, sans matelas, sans repas, sans rien. Juste de l’eau chaude ! Ils ne nous donnent pas à manger. Le lendemain matin, une femme arrive. Le représentant dans le bureau déclare « vous signez les papiers et on prend vos empreintes. Si vous voulez rester dans le cachot, ne signez pas. Si vous voulez partir, signez ». Je ne savais pas ce que cela signifiait. On pensait qu’ils allaient nous emmener dans un camp. Au lieu de cela, ils nous font signer un papier et nous donnent un document déclarant que nous avons 7 jours pour quitter le territoire. On ne nous a rien expliqué.
On a alors suivi la ligne de train. Certain sont morts renversés par les trains car ils avaient leurs écouteurs sur les oreilles et n’ont pas entendu les trains arriver. J’ai vu deux personnes mourir comme ça. Certains sont morts car ils ont eu une crise cardiaque et il n’y avait pas d’eau. Au petit matin comme il faisait froid, certains meurent. Donc, on a décidé de partir le jour même. On prend un train pour Zagreb vers la frontière avec la Slovénie, puis un train et des bus. Libéré vers 11h, on a suivi la ligne jusqu’à une station où on a pris un train vers Zagreb. Arrivé à Zagreb vers 15h/16h, on attend un train pour la frontière à 20h. On monte dans le train et le trajet dure entre 20h et 2h du matin. On passe la nuit sur le parvis d’une gare. Le train arrive à 8h et nous emmène à la frontière. Ensuite, il faut traverser la frontière à pied. On a campé, mangé et on s’est préparé de 17h à 21h. On a ensuite marché et on a pris une ligne de train à travers les barbelés avec des caméras, des drapeaux et un poste frontière.
On a décidé de continuer le chemin de train mais des policiers nous ont couru après et nous ont prévenu qu’un train se dirigeait vers nous « the train is coming, you are going to die ». On dit « on vient de l’asile. On nous a chassé de la Croatie », ils nous disent « ne faites jamais ça ». On nous a demandé si on veut rester en Slovénie. Je ne sais pas car je veux me décider quand je retrouverai mes frères. A 2h du matin, un bus est venu nous prendre et nous emmène dans un camp de réfugié. Les célibataires sont dans un camp séparé des femmes et des familles. Je ne trouve pas mes frères. Je contacte ma mère pour savoir si elle a des nouvelles. Elle me dit que l’un a passé et pas l’autre. Je décide de partir à la recherche de mon frère qui a passé. Donne-moi le numéro des gens qui habitent à Sion qui veulent nous emmener directement à Boudry. Je décide de partir pour la Suisse mais les gardes qui surveillent les centres refusent qu’on parte. Du coup, je cherche un autre moyen. Si tu ne portes rien sur toi et avec toi, ils vont penser que tu pars te promener et ils vont te laisser. Et ça a marché… J’ai laissé mes diplômes, mes affaires. Dans le même bus, j’arrive en Italie. Je prends un train pour Milan. A Milan, je me retrouve avec des passeurs qui font des conneries et donnent des tickets qui ne sont plus valables. Les contrôleurs suisses menacent d’une amende. Certains ont accepté qu’on les paye avec du cash. D’autres étaient en 1ère classe par erreur. Je me retrouve à Zurich avec un contrôleur sympa qui me paye le billet de train Swisspass Zurich-Lausanne-Sion-Boudry. Mon frère est arrivé après. Il est aujourd’hui dans les Grisons.
Ici, la Croix rouge permet de retrouver sa famille, donne à manger. Le plus jeune de mes frères est arrivé 2 mois plus tard et il est à Berne.
David*
*Nom d’emprunt