Jean-Pierre

Hommage à Jean-Pierre Zurn, aumônier à l’AGORA,
décédé le 13 mai 2023 à l’âge de 82 ans,
prononcé lors de son ensevelissement par Michel Bavarel, ancien président

Jean-Pierre a exercé son ministère à l’Agora, l’Aumônerie œcuménique auprès des réfugiés, de l’automne 1997 à la fin de 2005. Avec la guerre des Balkans, il a tout de suite été plongé dans une période intense.

Une période marquée par des tensions et des conflits avec la direction du Centre d’enregistrement de la Confédération à la Praille, l’Office fédéral des réfugiés, à Berne, ou encore l’Hospice général à Genève. Jean-Pierre a eu maintes occasions de s’indigner de l’indifférence, du manque de respect envers les requérants d’asile et il avait, si je peux dire, l’indignation agissante. Il agissait d’une manière déterminée, sans craindre l’affrontement.

Pour l’illustrer, je vais rappeler un seul épisode parmi bien d’autres.

En automne 1998, le Centre d’enregistrement de la Praille déborde et l’AGORA doit prendre soin des requérants d’asile laissés à la rue. Chaque matin, des centaines de personnes font la queue devant le Centre d’enregistrement, juste pour qu’on change la date à laquelle ils devront se représenter, car peu d’entre eux sont admis dans ce lieu qui, normalement, devrait les héberger. La CASAGORA, c’est ainsi qu’on avait baptisé le conteneur posé devant le Centre d’enregistrement, est envahie et nos bénévoles n’arrêtent pas de remplir les thermos de thé et de café, d’informer et d’orienter les requérants d’asile, d’accompagner les plus fragiles jusqu’à la porte du Centre. Malgré l’intervention des Églises, les autorités restent silencieuses.

Alors, sous l’impulsion de Jean-Pierre, l’AGORA émet un communiqué avertissant qu’elle ne peut pas poursuivre sa tâche dans ces conditions et ferme la CASAGORA. Cette fermeture crée un choc, les médias, suisses et même étrangers, multiplient émissions et articles. Effet magique. Deux jours plus tard, le directeur de l’Office fédéral des réfugiés, Jean-Daniel Gerber, invite les responsables de l’AGORA à s’entretenir avec lui. Nous le rencontrons dans un café derrière la gare. Un dialogue critique s’amorce, des mesures sont annoncées et l’AGORA peut rouvrir la CASAGORA.

Non seulement Jean-Pierre agissait avec ténacité, mais il entendait « penser ce que nous faisions », comme il l’écrit dans la brochure publiée à l’occasion de nos vingt ans. Il a appelé, peu avant sa retraite, dans les « infos » de l’AGORA, à une ouverture vers la transcendance. Je le cite : « Une  transcendance qu’est pour nous le Dieu de Jésus-Christ et de sa Parole, au nom de laquelle il faut que, contre vents et marées, un ministère comme l’AGORA rappelle la valeur de tout être humain ».

Après le départ du Centre d’enregistrement pour Vallorbe, en novembre 2000, l’AGORA s’est tournée vers les requérants d’asile et les réfugiés attribués à Genève. Nous avons passé d’un conteneur à une vaste maison, à la Renfile. Une maison qu’il a fallu retaper, ce qui a permis à Jean-Pierre de s’employer physiquement, avec une équipe de bénévoles. Il était plein d’idées, nous entraînant par exemple dans la construction, dans le jardin, d’un four à pain dont, à mon souvenir, n’est jamais sorti une miche. Par contre, il a accompagné la création d’un atelier d’informatique qui existe toujours.

À la Renfile, Jean-Pierre, avec un petit groupe, menait une réflexion biblique, le vendredi en fin d’après-midi. Il a également participé, devant le temple de la Fusterie, à un moment de recueillement appelé « Prier et résister ». Cela à la suite de l’institution du statut des NEM, les requérants frappés d’une non-entrée en matière, rejetés dans l’anonymat et recevant à peine de quoi survivre. Dans un texte, que nous avons cosigné, est citée cette parole adressée à Paul, tombé sur le chemin de Damas : « Je suis Jésus, c’est moi que tu persécutes ». Notre commentaire : Le Seigneur ne pourrait-il pas nous interpeller de la même manière au sujet de ces NEM et autres requérants d’asile ? Aujourd’hui Jean-Pierre nous laisse cette question …

Michel Bavarel, ancien président de l’AGORA